La liberté de disposer de son corps est-elle compatible avec une liberté d’importuner?
Tu te souviens des images d’Adèle Haenel qui quitte la salle des César, en criant : « La honte ! » ?
En réaction à l’affaire Weinstein, du nom du producteur de cinéma accusé de viol et d’agressions sexuelles, né le mouvement #metoo, dénonçant les agressions subies, notamment par les personnalités féminines. Là, je ne sais pas si tu te souviens, mais une tribune critique du mouvement #metoo intitulée « liberté d’importuner » est publiée dans le monde le 10 janvier 2018. Cette tribune est signée par une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve, et alerte du risque pour les femmes de « s’enfermer dans un rôle de proie ». Ce qu’il est intéressant de relever c’est la question qui se cache derrière ces deux visions du féminisme : que symbolise notre corps, à qui appartient-il ?
Les luttes féministes des années 1970 portaient sur « la propriété de son corps »
Catherine Deneuve a été l’une des figures de proue du manifeste des « 343 salopes » de 1971 qui scandait alors « nous voulons être les seules propriétaires de notre corps », car elles luttaient en faveur de l’avortement alors interdit en France. À travers le droit à l’avortement, il se posait déjà la question de savoir à qui appartient le corps des femmes. Aucun droit à la contraception n’était possible jusqu’en 1967, la relation sexuelle était ainsi synonyme de procréation. Sous le joug de l’interdiction par la loi, et par l’Église encore très présente, le corps des femmes ne leur appartenait pas. En cas « d’accident », les femmes devaient garder le bébé ou avorter clandestinement, sans prise en charge à l’hôpital. Dans ce contexte, comment pouvez-telles dire « je fais ce que je veux de mon corps » et dès lors jouir d’une liberté sexuelle ?
…Mais a-t-on le total contrôle sur notre sexualité aujourd’hui ?
Aujourd’hui tout a changé, me diras-tu : nous avons accès à la contraception, et l’avortement a été légalisé…bref nous sommes maîtresses de nos corps et de notre sexualité. Et bien ce n’est pas si facile. Nous pouvons être victimes de préjugés de par notre apparence physique, nous pouvons être victimes d’agressions sexuelles parce que quelqu’un exerce une position de domination sur nous. Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur, en 2020, il y a eu près de 55 000 agressions sexuelles enregistrées. Ça c’est quand la victime porte plainte, alors imagine le nombre réel. Alors que la parole se libère, le nombre d’agressions enregistrées augmente. Ainsi, la sexualité n’est pas anodine, par celle-ci, les agresseurs prennent le pouvoir sur une femme en faisant effraction dans son intimité, il la dépouille de sa liberté de dire « non » ou « je ne suis pas d’accord ».
Voir les femmes comme ayant toutes seul le contrôle de leur sexualité c’est oublier le contexte social dans lequel nous évoluons
Je ne suis dès lors pas d’accord avec le texte « liberté d’importuner » car dans le cas d’une agression on nous vole « notre liberté de dire non ». Aussi le texte dit-il « nous estimons qu’il est plus judicieux d’élever nos filles de sorte qu’elles soient suffisamment informées et conscientes (…) » et ne fait aucunement mention de l’éducation des petits garçons. Ce texte revient à surresponsabiliser les femmes en les rendant actrices uniques du jeu de séduction, voire comme ayant le contrôle du jeu de séduction à elles seules. C’est omettre le contexte social dans lequel nous évoluons.
…L’image de la femme désirable que l’on voit partout parvient à brider la totale affirmation de soi.
Le corps des femmes nourrit tous nos imaginaires, des posts sur les réseaux sociaux, à la télévision, le corps dénudé des femmes sert à vendre un pot de yaourt, comme des régimes. Il y a celui qu’il faut atteindre, ou conquérir, et celui dont on ne voudrait pas. Avec cela nait le concept de la « femme désirable », celle que l’on voudrait être (pour beaucoup) ou celle qui faut séduire. La femme désirable à un corps qui répond à des canons de beauté. Bien que de plus en plus présents, les canons de beauté sont beaucoup moins oppressants chez les hommes. Mon sentiment est que cette image de la femme parfaite parvient -plus ou moins consciemment – à brider les désirs d’affirmation de soi, y compris de sa sexualité. Bref l’érotisation du corps des femmes peut générer une situation de domination pour l’homme.
Tant que le corps des femmes servira à vendre, des objets, comme des relations, nous serons en position de vulnérabilité sociale, économique et sentimentale. Dans une économie de la consommation, le corps des femmes est relayé au rang de choses. Dans un tel contexte, il est difficile de prendre l’emprise sur soi, sur le rapport de séduction, et sur sa sexualité…les luttes féministes se sont alors peut-être déplacées de l’emprise de son corps, à l’emprise sur son environnement.
Follow my blog with Bloglovin