« Le patriarcat créé une insécurité permanente chez les femmes, qui se sentent alors menacées par celles qui semblent avoir plus confiance en elles »
Racha BELMEHDI pour CAUSETTE
J’ai posé cette question que les réseaux sociaux : « la rivalité féminine mythe ou réalité », les réponses ont été unanimes, pour les personnes interrogées c’était une réalité. La question est ignorée des sciences sociales et des recherches féministes, pourtant, elle est loin de dépasser les petits « cancans » de village/quartier, car elle nous interroge sur le monde que nous voulons demain. Comment commencer pour plus d’égalité entre les genres, à notre échelle?
« Miroir, oh miroir, dis-moi qui est la plus belle ». À moins que tu aies grandi.e dans une grotte, cette phrase te dit sûrement quelque chose. Mais « plus belle » pour le regard de qui ? Aussi la réponse à la question fait apparaître une belle jeune femme encore fraîche et naïve…plus belle de quoi, par rapport à quel étalon ? Pourtant la jalousie explose devant le fait de ne pas être l’élue au regard du prince…Nous avons grandies avec ces images.
Il y a un tabou autour de la rivalité féminine. Pourtant, combien de fois as-tu entendu « je ne m’entends pas avec les autres femmes » ? Sous-entendu, je me désolidarise. La femme représentée comme douce et patiente, comme perfide est curieuse, n’a cependant pas été socialisée comme un homme. Les référents culturels des femmes les inscrivent dans un cadre qu’elles tentent de dépasser aujourd’hui. Cependant, dans un monde professionnel où les places sont rares par exemple, la compétition fait rage. Quels sont les ancrages culturels de cette rivalité ? En quoi plus de sororité sera salvateur pour l’avenir commun des femmes ?
Une invisibilisation des femmes dès l’antiquité au moins
Dire que l’on ouvre la boîte de Pandore, c’est dire que les problèmes vont s’accumuler. Selon la mythologie grecque, Pandore est la première femme mortelle de l’humanité. C’est Zeus qui l’a envoyée sur Terre pour se venger des hommes. Absolument parfaite, elle était aussi extrêmement belle, et possédait une formidable voix. Cependant, elle était aussi jalouse, perfide et curieuse…un jour elle ouvrit la boîte de Pandore que Zeus lui avait interdit d’ouvrir, et elle rependit la guerre, la souffrance, la violence et la mort sur Terre.
La culture populaire diffuse l’image d’une femme pècheresse, ça marque des esprits…et des destins
On pourrait aussi dire qu’il y a Eve et le péché originel, bref, depuis au moins l’antiquité l’image des femmes est construite autour des péchés de la curiosité, de la jalousie et de la perfidie. La culture populaire en est imprégnée. Ça marque, ça construit. Ainsi, dans un monde où les places professionnelles sont déjà rares pour les femmes, celles-ci attendent d’avoir 80 % des compétences requises avant de se porter candidates à un poste, là où les hommes se contentent de 50 % des compétences demandées. Le plafond de verre[1] est ainsi autant une réalité sociologique que psychologique. Ce dernier joue sur le manque de confiance.
La rivalité c’est le manque de confiance des invisibles
Or, quand on parle de rivalité, c’est bien cela qu’il s’agit, du manque de confiance, celui qui nous fait projeter nos propres failles sur les autres. Quand on parle de rivalité, il s’agit de tourner son intelligence émotionnelle en défaveur des autres (harcèlements, commérages, etc.). Ainsi, une étude commandée par Twitter en 2016 montre que la moitié des insultes sexistes viennent de la bouche des femmes. Bref, quand on est en situation de rivalité c’est que l’on ne connait pas sa valeur. C’est l’inverse d’une situation de saine compétition dans laquelle on connaît sa valeur, comme on reconnait celle de l’autre. C’est aussi souvent l’inverse du mode de socialisation des hommes qui ont grandi avec les figures de valeureux guerriers. Il n’y a pas de récits de grandes amitiés entre les femmes, ou très peu.
La solidarité entre femmes contre un modèle patriarcal dominant
Pourtant, dans un monde dominé par les figures masculines, le concept de sororité qui vient du mot « sœurs » mérite d’être étendu. La sororité ne consiste pas en une attitude béate d’admiration réciproque. Elle consiste à être solidaire des autres femmes, leur tendre la main afin qu’elles montent sur l’échelle. L’objectif est plus philosophique qu’individuel, faire un pied de nez à une société encore patriarcale. La sororité c’est poser sa pierre pour faire grandir sa consœur, ou concourir dans une situation de saine compétition. C’est reconnaître la valeur de l’autre.
La sororité pour aller contre l’image d’un « éternel féminin »
Ainsi, la sororité nécessite d’aller à l’encontre des millénaires d’éducation. En effet, le problème est que les femmes ont bien été invisibilisées de l’histoire ou placées au rang de subalternes. Ancrées dans un éternel féminin fait de douceur, de bienveillance, de fragilité et de maternité, la question sous-jacente qui se pose est celle de l’affirmation de soi, de la reconnaissance de soi et de sa valeur. Cependant, la sororité n’est pas un concept facile à appliquer dans la vie quotidienne, cela nécessite de surmonter les stéréotypes de genre profondément enracinés qui les ont divisées pendant si longtemps. Il y a encore des préjugés et des tabous qui entourent la rivalité féminine, mais la sororité peut être un moyen de les surmonter.
La prise de conscience d’une rivalité féminine, souvent entourée de déni et d’un tabou, est importante pour la construction d’un avenir commun pour les femmes. En travaillant ensemble, les femmes peuvent lutter contre le sexisme et le patriarcat, qui continuent de maintenir les femmes dans des rôles subordonnés et de les priver de l’effectivité de leurs droits. En créant des réseaux de soutien, les femmes peuvent se sentir plus fortes et plus capables de relever les défis auxquels elles sont confrontées.
Pour aller plus loin :
- Elisabeth CADOCHE et Anne de MONTARLOT – « le syndrome de l’imposture »
- Racha BELMEHDI – « Rivalité, nom féminin »
[1] Concept qui explique le faible nombre de femmes aux postes de direction