• Est-ce que l’on s’appartient quand on se maquille ?

    En 1880 apparait le premier bâton de rouge à lèvres, à base de cire à bougie. Le maquillage des lèvres est alors réservé aux actrices, aux demi-mondaines, ou aux prostituées. La démocratisation du rouge à lèvres commencera après la Première Guerre mondiale. C’est une période d’émancipation pour les femmes qui remplacent les hommes qui sont au front, dans l’industrie. C’est dans les années 1920 que le rouge à lèvres moderne né. Il est inventé par le chimiste Paul Baudecroux, qui invente le rouge à lèvres indélébile. Cette petite histoire du rouge à lèvres place le contexte du nos ambigüités face aux cosmétiques. Alors, notre routine beauté, signe d’émancipation, ou signe d’aliénation ?[1]

    Un retour à des pratiques beautés naturelles durant le confinement

    Se maquiller devant le miroir le matin. Cela peut-être un petit rituel qui fait du bien à l’égo, comme une routine prenante. Dans les publicités ou sur nos réseaux sociaux, le maquillage est en top des apparitions. Il est souvent décrit comme un moyen de mise en beauté, tout comme d’affirmation de soi. Pourtant, lors de la crise du COVID 19 de plus en plus de femmes ont délaissé le maquillage. En effet, 21% des femmes déclaraient se maquiller quotidiennement en 2020, contre 42% en 2017, selon l’institut de sondage IFOP. On parlait de tendance « no make up ». Le confinement a plutôt accéléré la tendance dans les routines de soin du visage. Nous étions nombreuses à vouloir améliorer la qualité de notre peau et à vouloir revenir à un visage naturel, dépourvu de produits chimiques. Les pratiques cosmétiques rejoignent alors la perspective des mouvements de jeunes femmes mobilisées contre les stéréotypes de genre et le trop-plein de pression sociale.

    …Qui n’a pas résisté au boom des tutos maquillages à la sortie de la pandémie

    Paradoxalement, avec le boom du e-commerce qui a eu lieu pendant la pandémie, nous sommes une femme sur trois à avoir acheté des produits de beauté en ligne en 2021, toujours selon l’IFOP. Les produits de beauté sont la catégorie la plus achetée par les consommatrices françaises sur les réseaux sociaux. Ils se diffusent partout, notamment via les tutos. Facebook et Instagram sont les plateformes privilégiées pour l’achat de ces produits de beauté. Bien que le télétravail puisse permettre un look plus détendu pour travailler, le retour à nos postes de travail a sonné l’heure d’un esthétisme plus sophistiqué.  Bref, si on se permet un look plus naturel à la maison, il semblerait que le travail impose des contraintes quant à l’apparence. En effet, seulement 50% des femmes disent pouvoir aller au travail sans être maquillées[2].

    Malgré l’aspect fun des tutos maquillage, se maquiller peut-être une forme de pression sociale

    Le maquillage peut être une forme de pression sociale, car 35% des Françaises pensent que l’absence de maquillage en public est une forme de « laisser aller », et 51% disent se maquiller pour les autres plus que pour elles-mêmes. Cela pointe le rapport entre le maquillage, l’apparence et l’image que l’on tient à montrer en public. Cela montre aussi à quel point nous pouvons être fragiles et pas très au clair avec la question du maquillage et de l’apparence de soi, puisque :

    • Selon 35% des femmes, femme très maquillée est superficielle
    • Selon 7% des femmes, une femme portant du rouge à lèvres est sexuellement disponible

    Dans ce cas, nos pensées sur le maquillage peuvent être sexistes dans le sens où elles contribuent à jeter un regard négatif sur la femme qui se « maquille trop », celle qui n’a pas les codes des catégories socio professionnelles plus élevées (selon l’étude ce sont elles qui se maquillent le moins). En effet, le maquillage en dit beaucoup de la personne qui le porte, et sur son sens de l’esthétique. Il est aussi le miroir de nos idéaux en termes de beauté, quand on se maquille, on s’expose aux regards. Finalement, la pression sociale c’est le regard que l’on porte sur quelque chose qui doit correspondre à des pratiques partagées : « Se maquiller oui, mais un peu ».

    Malgré tout, le maquillage peut être un symbole d’affirmation de sa personnalité

    Si on regarde la situation à l’envers, le maquillage peut être vu comme un symbole militant et d’affirmation de soi et de sa personne. Porter des couleurs bariolées et criardes c’est souvent le faire en connaissance de cause et c’est souvent braver les préjugés. C’est vouloir affirmer sa créativité et sa singularité. Se maquiller c’est avoir le courage de l’affirmation, qu’importe « ce qu’en diront les voisins ».

    Le meilleur maquillage est celui qui nous fait plaisir et que l’on assume ! Se maquiller est certes un geste quotidien pour certaines, mais il n’est pas anodin dans le sens où l’on consacre environ 15 minutes devant le miroir pour mettre en valeur, voire modifier nos traits naturels. Le maquillage est encore clivant, car on ne maquille pas de la même façon dans tous les milieux sociaux. Comme nous le montre l’histoire du rouge à lèvres du début, les femmes se maquillant beaucoup souffrent de préjugés. C’est aussi le cas de celles qui ne se maquillent pas. Entre les deux, la marge de manœuvre pour s’approprier cette pratique est étroite. Lorsque l’on se maquille, la question que nous devrions nous poser est si nous le faisons pour nous, ou pour le regard des autres ? Prenons-nous du plaisir ou est-ce une contrainte ?


    [1] Pour répondre à cette question j’ai consulté l’étude IFOP x Slow make up de 2020.

    [2] Enquête IFOP pour slow cosmétique.

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