• La charge mentale des femmes ici et d’ailleurs : le témoignage sensible d’Inaya Ifé

    « Je suis devenue juste une spectatrice de la vie des miens. Là c’est une douleur qui ne pourra sans jamais s’estomper. »

    Inaya Ifé est la belle-sœur d’une amie, elle a 35 ans et vit dans une grande métropole. C’est un prénom d’emprunt. Elle nous raconte sa charge mentale d’une femme à la fois d’ici et d’ailleurs. Venue de Madagascar par amour, elle nous raconte avec humour et pudeur la fierté et le poids de son éloignement, les deux faces de la même pièce, l’attachement aux siens. Comment le déracinement ajoute-t-il un peu plus à la charge mentale d’une femme ?

    Cher journal pas très intime,

    Aujourd’hui je vais te parler d’une situation qui touche beaucoup de femmes, bien que des hommes soient également concernés. Mais on ne va pas se mentir, le sujet que je vais aborder est surtout une problématique qui atteint plus de femmes que d’hommes.

    Par où commencer ?

    Ah oui, peut-être te dire de quoi il s’agit ?

    Mais avant cela, il faut que tu saches, que c’est une personne qui m’est très proche, pour ne pas dire de ma famille 😊, qui m’a demandé d’écrire sur le sujet. Sans quoi, je ne l’aurais jamais fait. Elle me demande de partager mon ressenti, par conséquent mon vécu. Aussi, j’essaie de trouver un moment dans ma journée pour m’assoir et me pencher là-dessus, tout en pensant que je ne vais jamais trouver le temps de faire ça, car j’ai mille choses à faire à côté, qui me semblent « plus importantes » et je ne suis pas non plus forcément inspirée même si le sujet me parle. Je prends sur moi. Allez focus, je me concentre.

    C’est parti ! on va parler de la CHARGE MENTALE.

    En parler c’est bien sûr entrer dans mon intimité. C’est un exercice qui n’est pas évident pour moi. Je partage rarement ma vie privée, surtout lorsque cela implique de mettre en lumière les côtés dont je ne suis pas fière, les parties qui ne sont pas « diffusables » sur les réseaux, car finalement on a l’impression que nous sommes seules dans ces situations de désarroi. Je sais bien que non, mais ce sentiment d’autojugement est tenace.

    La charge mentale une fatigue psychique mais aussi physique

    Il est difficile aussi d’aborder ce sujet sans avoir le sentiment d’incriminer mon conjoint et de lui donner le mauvais rôle qui justifierait mon état. En effet, si je me base sur une des définitions, il s’agirait du « poids psychologique que fait peser la gestion des tâches domestiques et éducatives, engendrant ainsi une fatigue physique et surtout psychique ». Ce serait injuste et surtout absolument faux de dire que je supporte seule toutes ces tâches, car j’ai la chance d’avoir à mes côtés, quelqu’un qui s’implique dans la gestion de notre quotidien.

    …Qui atteint surtout les femmes : exemples

    Néanmoins, malgré cela, il faut croire que ce n’est pas assez. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est mon état psychique. 😊 . Mais pour être tout à fait honnête, ma charge mentale n’est pas le résultat seul d’une pensée incessante de l’organisation de notre vie quotidienne, même si je dois quand même rappeler pour la petite parenthèse, que c’est moi qui fait penser à monsieur mon mari qu’il doit appeler sa maman de temps en temps, qu’il n’oublie pas de s’acheter son propre gel douche (oui on ne le partage pas.lol) pour ainsi éviter d’utiliser le lave main en substitution ou encore qu’il anticipe l’achat d’une éponge pour la vaisselle ou de mettre le sac poubelle sur la liste des courses.

    « Anticiper » la vie du foyer comme élément déclencheur de la charge mentale

    Ah oui ! avant de fermer cette parenthèse, et d’exposer l’autre source de cette charge, je veux pointer du doigt l’autre élément déclencheur de ce stress : L’ANTICIPATION. Et oui, ANTICIPER, pour que rien ne manque et que la vie de « tout le monde » soit plus facile et fluide, pour gagner du temps et surtout de ne pas être dépourvu de quelque chose au moment opportun. Cette anticipation est d’autant plus importante et fondamentale (à mes yeux, toujours) depuis qu’on a un enfant. A deux c’est gérable, mais quand on un petit c’est tout à fait autre chose. Exemple typique, le changement de saison. Si on prend la transition hiver/printemps/ été, cela implique que l’on doit anticiper la sortie des vêtements adéquats pour ta progéniture. Il ne suffit pas de les ressortir, il s’agit de vérifier si ses vêtements lui vont toujours, car oui un enfant ça pousse constamment. Je ne parle même pas des chaussures. Tu dois alors t’organiser dans ta journée, entre le travail et ton temps « libre » pour prioriser cette tâche, faire le tri, ranger/stocker les vêtements d’hiver et sortir les vêtements d’intersaisons, car il ne fait pas tout à fait chaud et écumer ensuite les sites et les magasins pour les achats si besoin (et c’est très souvent le cas).

    La solitude face à l’organisation et à l’anticipation de la vie du foyer

    Autre exemple : penser à changer et mettre à laver les draps (housse, couette, taies d’oreiller) et les serviettes de tout le monde. L’anticipation ici se situe au mode et à l’agencement pour le séchage de tout ce fouillis quand on n’a pas de sèche-linge et que l’on vit dans un appart. Les habitants de la maison (je n’inclus pas encore mon fils. Pas encore lol), pensent que leurs lits douillets et qui sentent bons arrivent tout seuls ; finalement comme le dentifrice et les brosses à dents qui sont toujours au rendez-vous, c’est-à-dire neufs et non défraichis.

    Je peux continuer cette liste encore et encore, mais je vais m’arrêter là et fermer cette parenthèse.

    Mettre en lumière les effets de mon bagage familial et culturel

    Je suis originaire de Madagascar, pays où la valorisation de la femme passe avant tout dans sa capacité à pouvoir gérer d’une main de fer sa maison, sa vie de famille, sa position d’épouse et aujourd’hui sa vie professionnelle. Cette dernière est entrée dans la balance relativement tard, car les femmes malgaches jusqu’à, il y a environ 4 décennies, étaient encore nombreuses à être des femmes au foyer. Ainsi, que ce soit au niveau familial et culturel, filles ou garçons, nous avions tous eu cette image et cette vision évidente de la maman qui s’occupe absolument de tout sans rechigner, et si c’était le cas, pas de manière revendicatrice et juste auprès d’amies très proches et encore. Eh oui et encore ! l’esprit de sacrifice et de dévotion pour le bien être de la famille sont considérés comme de grandes qualités chez la femme…mais ça, c’est un autre débat.

    Le modèle patriarcal dans toute sa splendeur, modèle culturel, seul modèle que j’ai connu et qui semblait convenir à tout le monde

    Avec le recul et surtout depuis que je suis maman, je me suis demandé comment ma mère a fait pour gérer ses 4 enfants sans compter les innombrables allées et venues des cousins, cousines, oncles, tantes, l’implication dans les activités de l’église, des kermesses en tout genre, et tout cela en s’assurant que chaque repas soit préparé délicatement par ses soins. Autant dire que la barre a été très haute. Ma mère ne travaillait pas, certes, mais aujourd’hui il est démontré dans de nombreuses situations, ce que représente la charge de travail d’une femme au foyer. La maman est à la fois gestionnaire, coordinatrice, cuisinière, éducatrice, infirmière et j’en passe. Tout ça sans être payée et sans l’aide de l’homme. Eh oui, ce dernier s’assurait de payer les factures et que l’on ne manque de rien. Bref, le modèle patriarcal dans toute sa splendeur, modèle culturel, seul modèle que j’ai connu et qui semblait convenir à tout le monde.

    La charge mentale des femmes un sujet encore tabou

    Cet exemple de ma mère ainsi que de beaucoup de femmes vivant au pays me faisait culpabiliser, car je ne comprenais pas pourquoi je me sentais submergé et pas elles ? Pourquoi les autres y arrivent et pas moi.

    Les réponses à mes questions, je les ai trouvées au fur et à mesure des années, grâce à mes propres expériences, mais aussi à force d’observer et d’écouter celles des autres. C’est surtout ici, dans mon pays d’accueil, la France, que j’ai pu avoir certaines révélations, qui sont finalement tellement évidentes après coup.

    La solitude du couple la raison de la charge mentale et du babyblues en France

    La charge mentale touche énormément de femmes, dans tous les pays du monde, mais à des degrés différents. Il y a des degrés gérables comme chez les femmes malgaches par exemple, et selon les situations, car la pression et le stress sont largement estompés. Si on prend l’exemple de l’arrivée d’un bébé. Jamais auparavant, je n’ai connu de jeune maman malgache qui avait le baby blues. Pour nous c’était un truc de « blanc ». On ne pouvait même pas comprendre pourquoi la femme pouvait être à ce point malheureuse après l’arrivée d’un événement si heureux. Je ne dis pas que le phénomène n’existe pas, mais je ne vais pas m’étaler sur notre manque d’informations et d’éducation à ce sujet, d’autant plus que c’est même presque tabou d’insinuer que l’on est touché par cela. Ici, je me focalise sur la charge mentale qui incombe à la femme dans des situations similaires, mais dans des conjonctures différentes. De mon expérience, en France, une fois maman on devait avec mon mari, gérer seuls notre nouveau foyer, gestion d’un nouveau-né, qui rappelons-le n’est pas fourni avec un mode d’emploi malgré tous les bouquins sur le sujet. Il ne suffit pas de nourrir l’enfant, on continue de vivre aussi à côté. Continuer de faire le ménage, à manger, le linge à laver, qui par ailleurs augmente de manière exponentielle, c’est assez impressionnant.

    L’isolement de la maman c’est se sentir dépassée

    Maintenant, voici le topo, le père a 11 jours de congé paternité, la maman se retrouve ensuite seule avec tout ce changement. La fatigue plus le temps que son corps se remette de l’accouchement. PAS LE TEMPS de penser à tout ça, le bébé faut s’en occuper, la maison pareille, il faut s’en occuper…dans ce cas-ci, même si de prime à bord l’accouchement s’est bien passé et que dans le couple en temps normal tout est harmonieux, rien ne laisse donc présager que l’on va se prendre la tête pour un biberon pas laver. Et bien croyez-moi, ce rien peut faire exploser toute la maison tellement on se sent dépasser. Pourquoi ? Et bien parce qu’on est isolé.

    En France, pourquoi ne pas accompagner les femmes dans les premiers mois suivant l’accouchement ?

    Ici, contrairement à Madagascar, les proches auront plus de mal à aller vers nous, car ils supposent que l’on veut notre intimité durant cette période. Cette réflexion se tient. Mais pour moi qui suis malgache et qui a déjà été témoin et membre active d’une famille qui a accueilli des bébés, je peux te dire qu’accompagner la maman dans les premiers jours suivant l’accouchement et d’aider dans la gestion de la maison, c’est essentiel et même primordial. Je considère même aujourd’hui que c’est un privilège, et un vrai luxe. Certes, on n’a pas l’intimité que l’on revendique ici en France, mais finalement les effets de cette solidarité sont indéniables et flagrants. Les jeunes parents sont mieux disposés pour entamer leurs nouvelles responsabilités. La maman a le temps de se doucher, de se laver les cheveux (la base) et même de sortir avec ses copines, car il y aura une armada de nounous qui sont disponibles à toute heure. D’abord la grand-mère, les sœurs, les cousines et même les copines. Elles sont de confiances et expérimentées. Et oui, car on parle aussi de la transmission du savoir-faire et savoir-être de génération en génération. Anecdote qui m’a fait sourire, une fois que j’avais accouché, ici en France donc, les sages-femmes étaient étonnées de voir mon assurance quant aux gestes que j’avais pour la prise en main de mon nourrisson…merci maman et ma sœur chérie.

    La différence entre Madagascar et la France c’est que les femmes sont entourées, notamment lors de l’accouchement

    Cet exemple post-partum m’a d’autant plus frappé quand j’ai vu une émission à la télé française, qui vantait les mérites des pays d’Europe du Nord, qui mettaient en place un système d’accompagnement pour les jeunes parents après l’arrivée d’un bébé pendant environ 3 mois. Deux sages-femmes se relaient pour aider avec le bébé et la tenue de la maison. Même le ménage était pris en charge par ses personnes.  Si à Madagascar cet accompagnement se passe plutôt dans le cadre familial, dans les pays dits développés, le système est plutôt étatique. L’un comme l’autre, je trouve l’initiative pertinente et d’utilité publique. On s’assure ainsi de la santé mentale des parents et de minimiser leur charge mentale. Je dis minimiser, car de nos jours on ne peut plus vraiment y échapper totalement.

    Mais pour revenir à l’émission que j’ai vue, tout comme les chroniqueurs, je me demandais alors pourquoi cet accompagnement et l’implication étatique ne se généralisent pas partout ailleurs notamment en France. Les bienfaits sont pourtant indéniables. Encore un autre sujet à débattre.

    Je vais bientôt clore ce sujet. Je ne m’attendais pas à avoir finalement autant de choses à dire. 😊.

    La culture d’origine : source de fierté et de charge mentale

    La charge mentale qui m’incombe c’est aussi le devoir que l’on a en tant qu’enfant du pays à aider les siens. Il est pour nous dans l’ordre des choses de contribuer financièrement aux dépenses de nos parents une fois qu’ils sont trop vieux pour travailler et d’avoir des revenus. Ils se sont occupés de nous toute leur vie, alors une fois que nous sommes disposés à « rendre l’appareil » on le fait. La vie étant ce qu’elle est, avec les hauts et les bas, on ne peut cependant pas se permettre d’arrêter d’aider nos proches malgré les bas. La notion de devoir envers nos proches dépasse l’entendement de nos pairs dans les pays occidentaux. On fonctionne comme ça chez nous, on ne peut faire autrement. Au contraire, malgré les difficultés, nous sommes même fières et soulagées quand on peut aider. Mais cela devient une source d’angoisse quand on est en période de traverser de désert comme moi. Fraîchement au chômage.

    La douleur d’être spectatrice de la vie des miens

    Par ailleurs, il y a aussi le fait que je suis devenue juste une spectatrice de la vie des miens. Là c’est une douleur qui ne pourra sans jamais s’estomper. Mais la vie est faite de choix, et chaque choix à ses conséquences. Moi qui ai eu l’habitude d’être avec mes neveux, mes nièces, frère, sœurs, mère, père, etc. D’être là à chaque étape de leurs vies. Aujourd’hui à distance, je ne peux que leur envoyer les cadeaux d’anniversaires, de Noël, totalement dépourvus d’intimité, mais seules manifestations concrètes pour leur signifier que je pense toujours à eux. Le geste est là, mais tout ça, il faut le financer. Donc quand je peux je le fais, mais la frustration est grande, car tu veux pouvoir gâter tout le monde, en même temps.

    La charge mentale quand on vient d’ailleurs c’est aussi me demander si je reverrai les miens en bonne santé

    On essaie aussi de combler ce vide par les appels, mais encore là il est difficile de trouver un moment qui va à tout le monde, décalage horaire, rythme de vie ici et là-bas…on s’envoie plus de photos et vidéos finalement que de moment de discussion par téléphone. Des photos pour voir la vie et l’évolution des uns et des autres avec quelques légendes pour nous tenir au courant des événements.

    La charge mentale c’est aussi cela pour moi. Cette pensée constante à se demander si un jour je reverrai ma grand-mère, le reste de ma famille ou encore une de mes meilleures amies qui est très malade.


    Promis je prends le temps de faire les choses pour moi

    J’ai encore des choses à dire, mais je crois que je vais arrêter là histoire de laisser mon cerveau respirer et de continuer à apprendre à lâcher prise. Plus facile à dire qu’à faire.

    Je vais déjà essayer de programmer une ou deux sorties avec des amis, car cela fait 4 mois que l’on tente de se caler un truc, mais on est tous dans le même bateau 😊 .

    Je vais également prendre un moment pour répondre aux textos que j’ai reçus il y a deux jours et que j’ai mis de côté, car j’ai été distraite par mon fils qui me sollicitait pour l’aider à la construction de son bateau lego.

    Complémentarité n’est pas interchangeabilité des rôles …à méditer!

    Il n’y aura pas de vraie conclusion à ce billet en ce qui me concerne. Trop de paramètres à prendre en compte. Le lâcher-prise et la délégation des tâches tant prônée ne suffiront pas à résoudre la situation. Pendant longtemps je pensais qu’être complémentaire dans la vie commune aurait pu être la solution. Être interchangeable par contre dans nos tâches et dans notre organisation s’avère beaucoup plus efficace. Je sais juste que suite à ce papier, j’ai pu discuter de certains points avec mon conjoint, ça nous a fait rire, réfléchir et nous a permis de mettre les choses à plats.

    Pour ce qui est de ma relation à distance avec la famille et à mon pays c’est un autre sujet 😊 .

    Allez je te laisse !

    Inaya Ifé

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